Réglementation / Les perturbateurs endocriniens, hors la loi ?

Les perturbateurs endocriniens, hors la loi ?

Y a-t-il des lois qui encadrent la fabrication, l’utilisation et le rejet de perturbateurs endocriniens ? Pour certaines substances, oui. Mais pour la plupart, non. Les systèmes de réglementation actuels ne sont pas adaptés à ces substances, qui passent entre les mailles du filet.

Le consensus scientifique
La problématique des perturbateurs endocriniens s’est révélée peu à peu au cours des dernières décennies. Les outils de mesure des scientifiques sont devenus suffisamment sensibles pour analyser les effets de ces substances depuis à peine une dizaine d’années.

À titre de comparaison, la recherche sur le cancer a débuté il y a plus de cent ans et s’est accélérée à partir des années 1960. Malgré cela, les substances cancérigènes ont mis beaucoup de temps avant d’être réglementées et ne protègent toujours que partiellement les citoyens.

En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, il n’existe pas de protocole, ni de test qui fasse l’unanimité pour les identifier. Il est donc difficile de les définir pour qu’ils répondent à des normes précises et qu’ils soient pris en charge par une loi.

Une classe de substances prioritaire
Les lois protégeant la santé humaine et l’environnement caractérisent les produits chimiques par des classes précises. On parle de cancérigènes (causent le cancer), de mutagènes (cause des mutations génétiques), de tératogènes (causent des dommages au fœtus), de toxicité pour différents systèmes ou organes…, mais aucune classe ne se nomme « perturbateur endocrinien ».

Les différentes classes de produits chimiques ont attiré l’attention à divers moments. Tour à tour, elles ont été désignées comme des priorités. Par exemple, dans les années 1970 et 1980, l’attention était retenue par les causes environnementales du cancer et par les effets neurologiques de certains métaux lourds.

À ce moment, de nouvelles données s’ajoutaient pour évaluer la toxicité des produits. On avait découvert que les effets toxiques n’étaient pas nécessairement visibles immédiatement, mais pouvaient se manifester plusieurs années après l’exposition. L’évaluation des substances a été modifiée pour tenir compte de ces nouvelles informations très importantes pour protéger la santé des humains et l’environnement.

Parmi les substances qui ont été réglementées au fil des ans, on trouve certains perturbateurs endocriniens. Le DDT est un perturbateur endocrinien et il a été banni au Canada, en 1972. Mais c’est parce qu’il s’agit d’une substance persistante et cancérigène qu’on a ciblé le DDT, et non parce qu’il agissait sur l’équilibre hormonal.

Il en est de même pour plusieurs pesticides et polluants organiques persistants. De ce fait, les lois qui s’appliquent à ces substances n’ont pas été établies pour protéger des effets sur le système hormonal, mais bien pour éviter l’accumulation dans le corps, les effets cancérigènes ou les autres effets toxiques déjà caractérisés.

Aujourd’hui, les perturbateurs endocriniens semblent devenir prioritaires pour les instances réglementaires. On pourrait donc bientôt définir une classe de substances tenant compte des nouvelles données scientifiques qui permettent de comprendre les effets des perturbateurs endocriniens.

Le principe de précaution
Dans le cas de plusieurs polluants organiques persistants, des actions ont été entreprises par les gouvernements en appliquant le principe de précaution. Les études démontraient des effets toxiques inquiétants chez les animaux et on a voulu protéger la santé humaine en limitant le plus possible l’exposition.

Les études sur les perturbateurs endocriniens ont été menées principalement sur les animaux. On accumule ainsi des preuves scientifiques sur les effets de ces substances. Mais qu’en est-il des humains ? Peut-on leur appliquer ces conclusions ?, demandent les législateurs.

Des études épidémiologiques et des mesures sur des populations humaines sont publiées de plus en plus fréquemment. Mais pour réellement faire une preuve hors de tout doute, il faudrait pratiquer des expériences sur des humains, dans des conditions contrôlées et sur de longues périodes. Cela va à l’encontre de l’éthique et n’est évidemment pas possible.

De plus, comme les effets des perturbateurs endocriniens peuvent apparaître des dizaines d’années après l’exposition, faudrait-il attendre encore 20 ou 30 ans avant d’avoir des résultats et d’agir ? Le principe de précaution a été défini exactement pour éviter ce genre de situation.

Les pressions de l’industrie
En 2009, personne ne met plus en doute que la fumée de cigarette nuit à la santé. Pourtant, durant de longues années, l’industrie du tabac s’est opposée aux chercheurs en santé humaine dans une lutte féroce pour faire la preuve que le tabac était inoffensif. Cette guerre a ralenti le processus de réglementation et de protection des citoyens.

On observe le même phénomène avec les perturbateurs endocriniens. Pour de nombreuses substances, comme le bisphénol A (BPA), des études sont commanditées par l’industrie pour contredire les découvertes des scientifiques indépendants. Un chercheur de renom, Frederic Vom Saal, a fait remarquer qu’en date du mois de juillet 2005, sur les onze études sur le BPA financées par l’industrie, aucune ne démontrait d’effets néfastes. En contrepartie, 109 des 119 études financées par les fonds gouvernementaux concluaient que le BPA avait des effets toxiques.

Les pressions de l’industrie retardent l’arrivée d’un consensus scientifique. Ce consensus est essentiel pour aller de l’avant dans la mise en place de nouvelles lois.

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© Lise Parent, 2009